Pourquoi suis-je devenue maraîchère ?

La planète et les hommes

J'ai commencé à me renseigner et à essayer de comprendre ce qui se passait au niveau de la planète en 2003. Il y avait déjà beaucoup d'informations disponibles sur le "peak oil" et le changement climatique. Le GIEC avait déjà publié trois rapports (1990, 1995 puis 2001). Maintenant, plus grand monde ose le contredire, mais à l'époque cela passait encore au-dessus de la tête de presque tous et quand j'abordais la question, le plus souvent, on se mettait en colère contre moi en tentant de me ridiculiser. Pendant plusieurs années, j'ai passé toutes mes soirées à chercher des informations sur ces sujets et d'autres qui apparaissaient en tirant le fil : états des sols, alimentation saine, production d'énergie moins polluante et durable, urbanisme, finance, épuisement des ressources, pollutions ...

Un avenir possible

Malgré les bouleversements que ces impasses allaient produire, je voyais un chemin qui pouvait permettre de conserver un niveau de vie suffisant pour être heureux de vivre. La recherche de sobriété est la base de cette nouvelle société. C'est le contraire de ce qui est proposé depuis l'après-guerre, une société de consommation en croissance constante. Il est essentiel de beaucoup réfléchir et quantifier avant de préconiser des actions, pour ne faire des efforts que sur ce qui a réellement un impact. Beaucoup, sans réfléchir, mettent en place des actions qui suppriment du confort, mais ont un impact insignifiant. Les actions qui consistent à supprimer les tickets de caisse, à utiliser le dos des feuilles comme brouillon ou à éteindre l'éclairage public à 10 h me semblent contre-productives. Les gens pauvres ont besoin de savoir ce qu'ils dépensent pour équilibrer leur budget et le niveau de vie moyen va baisser. EDF a un pic de charge électrique à 19 h environ. Éteindre à 22 h n'arrange pas notre producteur d'électricité. Cette vie durable ne peut exister qu'avec une remise en question de toutes nos pratiques pour éliminer les plus polluantes. Et il ne s'agit pas de n'examiner que la consommation des ménages. Il faut aussi prendre en compte la pollution des entreprises et celles des produits importés. De cette façon, on comprend, que même en circulant tous en voiture à pédales (je plaisante.), on ne ramène pas à zéro la consommation de carburant pétrolier, parce qu'il y a aussi les camions, avions, paquebots, cars, le chauffage au fuel ... Je pense qu'il va falloir abandonner ou drastiquement diminuer des habitudes qui paraissent importantes dans notre vie actuelle : le tourisme en avion, les vacances au ski, les congélateurs individuels, accélérer l'effort d'isolation thermique des bâtiments, développer le transport collectif (il faut pouvoir compter sur les trains.) ... M. Jancovici écrivait dans un des livres que j'ai lu en 2003, que la quantité d'énergie qu'on utilisait en 1960 était durable. Et en 1960, on avait déjà, des machines à laver, des automobiles, des télévisions, le téléphone ... Il est possible de garder des objets de conforts surtout si on les améliore pour les rendre moins polluants ... Je ne prétends pas avoir la solution, je suis même certaine que la solution unique n'existe pas, mais il y a des multitudes de solutions partielles qui assemblées nous laisseront un monde vivable.

La décision

Quand j'ai reçu la lettre recommandée en septembre 2007, m'indiquant que j'étais dans un PSE avec 780 collègues, je me suis posé des questions sur mon avenir professionnel. Un PSE, plan de sauvegarde de l'emploi, est un plan qui sauvegarde l'emploi des salariés qui ne sont pas dans le plan. On m'offrait de l'argent pour quitter mon entreprise pour une autre activité, entreprise concurrente ou même création de ma propre entreprise. Je commençais à en avoir plus que marre de mes employeurs qui ne me proposaient que rarement du travail à la mesure de mes capacités. Le dernier projet auquel j'ai participé était le pire de ma carrière. C'était une sorte de mise au placard. Au fil du temps, j'aurai probablement remonté la pente, mais les blessures font mal et il est sain de s'éloigner de ceux qui les causent.

J'ai décidé de mettre ma vie en accord avec mes idées. Le temps de la déprime liée à la prise de conscience, de la recherche d'informations puis de répétition du message et de l'opposition : signature de pétitions, manifestations, devait se terminer. Il était nécessaire de passer à quelque chose de plus grand, de plus viable, devenir actrice de la construction de la société de l'avenir. En changeant d'entreprise pour une autre SSII, je gardais mon confort de vie, mais je risquais de retomber dans les mêmes manipulations, les mêmes insatisfactions. J'ai décidé de reprendre un vieux métier utile et qui a du sens.

J'hésitais. À l'époque, j'avais une amie qui avait du mal à se fixer et avait touché à vraiment beaucoup de domaines manuels et intellectuels. Je lui faisais confiance. C'est elle qui m'a incité à aller vers le maraîchage. Rétrospectivement, je n'aurai pas dû l'écouter, mais je savais juste que je voulais faire quelque chose de nouveau pour moi, reprendre un vieux métier manuel, si possible sans supérieur hiérachique, mais j'aurai aimé avoir des collègues. Je savais aussi que j'avais des capacités de réflexion et d'adaptation au dessus de la moyenne et je voulais les utiliser pour faire le bien.

L'apprentissage

J'ai beaucoup tourné avant de m'installer. Vu mon niveau scolaire, je pensais qu'il fallait que je privilégie la pratique. Petite formation, wwoof, un an de salariat dans deux entreprises agricoles, petit diplôme par correspondance puis un an de couveuse agricole. Ce qu'actuellement, je considère comme profitable même s'il y avait de gros points négatifs, ce sont une des années de salariat et l'année de couveuse. Une couveuse agricole, c'est un lieu où les futurs nouveaux installés peuvent acquérir de l'expérience. Généralement, on leur met à disposition de la terre, du matériel, et un tuteur expérimenté les conseille. Ce qui m'a ralenti dans mon apprentissage est que j'envisageais de travailler avec des chevaux pour minimiser mon impact écologique. La réalité est qu'il n'existait aucune formation pour cela et qu'en plus cela ne fonctionne pas. Les personnes qui préconisent d'aller dans cette direction sont souvent des formateurs en traction animale et vivent de leurs formations. Elles ont intérêt à le prétendre. Les deux seuls maraîchers qui ont vraiment tenté de travailler avec des chevaux, que j'ai croisés, utilisaient aussi un tracteur. Et les uns m'ont dit être fiers après dix ans d'effort à deux d'avoir atteint un revenu d'1/2 SMIC et les autres que cela divisait le rendement par deux. Nous sommes encore dans la civilisation du pétrole, il est illusoire d'aller à contre-courant de manière individuelle.

L'installation, la solitude

Je me suis installée à Genay en 2014 sur une petite structure qui devait encore être développée pour être rentable. J'ai décidé de commencer seule pour pouvoir créer mon activité à mon rythme et comme je la souhaitais. J'ai dimensionné mon activité pour pouvoir travailler à 2,5 personnes. Je pensais travailler seule pendant deux ans environ et être rejointes par d'autres personnes ensuite.

J'arrête cette page ici parce que l'espoir est source de bonheur. Ensuite, j'ai eu plusieurs années très difficiles, non pas que j'étais naïve et pensais que tout allait rouler tout seul, mais le risque pris, l'incertitude de l'avenir, la solitude, l'assistance promise ou logiquement attendues des "experts", je ne parle pas d'aide financière, qui n'est jamais arrivée, les atermoiements de mes cédants et l'accueil très mitigé d'une partie de la population locale m'ont fait vivre dans la peur pendant plusieurs années.